Extraits de textes autour des animaux

petit cheval hors du temps enfui
bravant les lès du vent et la vague et le sable turbulent
petit cheval
dos cambré que salpêtre le vent
tête basse vers le cri des juments
petit cheval sans nageoire
sans mémoire
débris de fin de course et sédition de continents
fier petit cheval têtu d’amours supputés
mal arrachés au sifflement des mares
un jour rétif
nous t’enfourcherons
et tu galoperas petit cheval
sans peur
vrai dans le vent le sel et le varech

Aimé Césaire « Moi laminaire »

La nuit, les chiens prenaient possession des esplanades, des culs-de-sac, des dessous de voitures et des amas d’ordures ménagères. Ils erraient en bandes furieuses dans les avenues où les vents de la jetée soulevaient de légers débris. Après avoir écumé le pont Démosthène, ils descendaient l’avenue du général de Gaulle, puis sillonnaient les Terres-Sainville. Ils finissaient par s’agglomérer sur la place Abbé Grégoire et aboyaient contre l’église. Puis on les entendait s’élancer en un galop bruyant vers le cimetière Trabault, où si la porte était restée ouverte, ils se poursuivaient entre les tombes des pauvres, renversant les bougies, les arums blancs et le petits quimbois-maléfiques qui troublaient la paix des caveaux. Ils ne respectaient rien. Leur délire voltigeait même les images de Marie la Sainte dans ses habits  de lumière, ou celles plus répandues encore de Saint-Michel terrassant un vieux nègre, exposés aux quatre coins des sépultures sur des rameaux croisés. Quand les chiens butaient sur la porte close, ils se déchaînaient aux alentours, bondissant pour franchir les murs blanchis à la chaux. Vaincus, ils fonçaient vers le centre ville où ils éparpillaient les poubelles des Syriens et attaquaient les noctambules. A l’aube, ils traversaient en file indienne le pont Gueydon et s’installaient sur la rive droite du canal Levassor. Là, en petits groupes silencieux, ils baillaient d’ennui, allongés entre les gommiers (bateaux) de pêcheurs. Malgré leur maigreur, ils étaient d’une vélocité qui déjouait les lassos des services d’hygiène de la municipalité. Rares étaient ceux qui possédaient encore leurs deux yeux. Pas un n’avait sa queue intact. Animé d’une haine ancestrale, nous ne perdions jamais l’occasion de jouer de la barre à mine, du coutelas, ou plus souvent d’une manoeuvre d’automobile. C’est pourquoi le jour les rendait peureux, solitaires, insignifiants à ras des murs, tremblant sous les voitures, impatients de la nuit où ils redevenaient fauves, membres furieux d’une horde furieuse qui possédait la ville, poussant contre les persiennes closes ces aboiements vengeurs qui cauchemardaient les rêves les plus secrets. C’était le chant des chiens.

 Patrick Chamoiseau « Chronique des sept misères »

Le vieux rat l’avait repéré. Il lui avait accordé un regard furtif, dressé sur le bord du bassin, et avait poursuivi sa quête. Deux billes inhumaines, d’un noir aveugle, lui servaient d’yeux. Le négrillon en eut l’ange gardien déplacé…
Le vieux rat parfois disparaissait…
Un jour, le Vieux clopina vers l’appât, dessous la pierre que le négrillon brandissait du haut de son guet. Il s’avança avec une sorte de confiance aveugle, ou misérable ou absente, quelque chose relevant du suicide ou de la certitude qu’il ne risquait plus rien. Ses forces déclinantes ne lui permettaient plus que cette lamentable aubaine. Il prit pied sur le piège et se mit à mâchonner comme un ravet d’église au moment de l’hostie. La pierre ne lui écrasa pas le crâne : elle était devenue la clé de voute d’une cathédrale de pitié dans l’enfant qui pleurait.

Patrick Chamoiseau « Une enfance créole 1. Antan d’enfance »

C’étaient des petits cochons-planches que l’on engraissait toute l’année selon les philosophies de la campagne. On les destinait aux ripailles de Noël, temps chanté de boudins, de côtelettes, de restes, de bananes vertes, de paroles inutiles, de petits noms, ils recueillaient les pelures des fruits de saison, et les enfants leur prodiguaient une bienveillante tendresse. Certains se virent parfumés, affublés de chapeaux, de colliers, de dentelles….
…Le négrillon ne s’attachait pas de manière identique aux cochons. Ils étaient différents. Certains se révélaient plus attachants que d’autres, plus vivants, plus espiègles, plus capables d’affection. Dans notre mémoire commune, frères, il y a Matador. Arrivé dans des cliquetis d’os, il s’était développé en une sorte de monstre charmant qui riait du monde avec des yeux de vieillard. Il donna l’impression de se nourrir sept fois de la moindre rognure. Il adorait le chocolat, les savons de toilettes, les grattés-caresses, les chantés en créole, accueillait ses visiteurs avec des hochements de tête, et longeait une oreille attentive vers le son de nos voix.

Patrick Chamoiseau « Une enfance créole 1. Antan d’enfance »

Le chat
Je souhaite dans ma maison
Une femme ayant sa raison
Un chat passant parmi les livres
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre

Le dromadaire
Avec ses quatre dromadaires
Don Pedro d’Alfaroubeira
Courut le monde et l’admira.
Il fit ce que je voudrais faire
Si j’avas quatre dromadaires.

La souris
Belles journées, souris du temps
Vous rongez peu à peu ma vie
Dieu ! Je vais avoir vint-huit ans
Et mal vécus, à mon envie.

La chenille
Le travail mène à la richesse
Pauvres poètes, travaillons !
La chenille en peinant sans cesse
Devient le riche papillon

La puce
Puces cruelles, amis, amantes même,
Qu’ils sont cruels cuex qui nous aiment !
Tout notre sang coule pour eux.
Les bien-aimés sont malheureux.

Le poulpe
Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu’il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c’est moi-même

L’écrevisse
Incertitude, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s’en vont les écrevisses,
A reculons, à reculons.

Le paon
En faisant la roue, cet oiseau
Dont le pennage traîne à terre,
Apparaît encore plus beau,
Mais se découvre le derrière.

Orphée
Regardez cette troupe infecte
Aux mille pattes aux cents yeux :
Rotifères, cirons, insectes
Et microbes plus merveilleux
Que les sept merveilles du monde
Et le palais de Rosemonde !

Le poison voici un des plus horribles et des plus étranges produits de l’esclavage! le poison c’est-à-dire l’empoisonnement organisé des bestiaux par le esclaves. Aux îles on dit le poison comme nous disons la peste, le choléra ; c’est une maladie de pays à esclaves ; il est dans l’air, la servitude en a chargé l’atmosphère des colonies, de même que les miasmes pestilentiels la chargent de Fièvre jaune. Le poison est une rame terrible aux mains des noirs, armes de lâches sans doute, à laquelle l’esclavage les condamne. Vainement feindra-t-on de lui préférer la servitude ; jamais l’Europe libre ne voit les prolétaires user de cet exécrable moyen pour manifester leurs souffrances.

Schoelcher V. « Histoire de l’esclavage pendant les deux dernières années »